Forcalquier au fil du temps

FORCALQUIER ET SON PAYS

À égale distance du Rhône, des Alpes et de la mer, à mi-hauteur entre plaine et montagne, à la rencontre du monde alpin et du monde méditerranéen - tout en recevant les derniers effluves atlantiques - le pays de Forcalquier est un milieu de la Provence, et une Provence du milieu.
 
Surtout, il se situe par là au point d’équilibre du mouvement continuel entre Haut et Bas-Pays qui rythme l’histoire des populations provençales, et voit moissonneurs et bergers, colporteurs et manœuvres, journaliers et servantes, descendre puis remonter sans trêve au rythme des saisons, amenant aussi à l’aller le bois et le fromage, et au retour le sel et le poisson.
 
Dans ce balancement séculaire, Forcalquier installe un relais, mais aussi un point de chute propre où, tels les gens de l’alpe dévalant vers la mer au rythme des saisons, ceux d’entre Lure et Luberon viennent chaque semaine se bousculer à son marché.
 
Si le cœur du pays est le bassin forcalquiéren, adossé à la chaîne de Lure pour buter aux pieds du Luberon, et bordé de part et d’autre par les vallées de la Durance et du Calavon, il a le plus souvent dans l’histoire étendu son influence à une zone plus vaste.
 
La première repérable, en même temps que la plus durable, associe à cet ensemble la vallée du Jabron, autrement dit englobe la montagne de Lure avec ses deux versants. Cette zone constitue en effet, aux siècles précédant la conquête romaine, le territoire des Sogiontes, peuple celto-ligure membre de la confédération voconce.
 
Dès la fin du IIe s. avant notre ère, la romanisation eut pour axe essentiel la Voie Domitienne, route principale d’Italie en Espagne qui traverse en diagonale le pays de Forcalquier. La christianisation prendra à son tour ce chemin, et son organisation reconduira pour plus de douze siècles le pays sogionte, puisque l’évêché (double à partir du XIe s.) de Sisteron-Forcalquier en reprend les contours.
 
C’est au cours de cette période qu’entre le XIe et le XIIIe s. le pays de Forcalquier domina l’espace le plus vaste de son histoire. Dans un contexte politique où les comtes de Toulouse et ceux de Barcelone (par ailleurs rois d’Aragon et comtes de Provence), mais aussi accessoirement la république de Gênes et l’Empereur germanique, se disputent la domination de l’espace occitan, des Alpes aux Pyrénées, les comtes de Forcalquier jouent de ces rivalités pour tirer leur épingle du jeu, et faire de leur ville la capitale d’un État indépendant, avec ses souverains, ses lois et sa monnaie, du mont Genèvre aux monts de Vaucluse et de la Durance au col de Cabre. L’Argentière, Embrun, Gap, Sisteron, Manosque, Pertuis, Apt, Sault, Séderon ou Veynes sont alors forcalquiérens, et même pour partie l’Isle-sur-Sorgue et Avignon. De cet âge d’or du pays de Forcalquier témoignent, aujourd’hui encore, les nombreux monuments romans de la région.
 
Un mariage alliera finalement les maisons comtales de Forcalquier et de Provence, et les deux États seront réunis après 1209, conservant toutefois une certaine autonomie qui ne s’estompera que progressivement.
 
La fin du XIIIe s. voit le début d’une crise économique et démographique. C’est sur ce terrain-là qu’en 1348 la peste noire frappe et s’installe pour des siècles, causant des ravages dont la haute Provence aura du mal à se relever. Si parmi les villages alors désertés certains se repeupleront avant le XVIe s., d’autres devront attendre les XVIIe ou XVIIIe s. ou même la Révolution.
 
Forcalquier a beau ne plus être alors que chef-lieu de Viguerie, l’attractivité de la ville à la fin du Moyen Âge continue de s’exercer par-delà la montagne de Lure : un drapier forcalquiéren du XIVe s., dont le livre-journal nous est parvenu (c’est d’ailleurs le plus ancien registre commercial de France), a des clients venant de Curel ou des Omergues.
 
En 1481 la Provence est annexée à la France, contre le sentiment des Forcalquiérens. Louis XI leur enverra une armée, qui les bombardera du haut d’une colline qu’on appelle depuis lors La Bombardière.
 
Comme au Moyen Âge les Juifs (Forcalquier et Reillanne ont leur synagogue) puis les Vaudois, les Protestants seront nombreux dans le pays au XVIe s. (outre Forcalquier, Ongles possède un temple).
 
Après la Révolution, le nouveau régime (qui trouve d’emblée chez nous de fervents partisans) permet à Forcalquier de conserver une partie de son pouvoir et de ses fonctions urbaines en y installant la sous-préfecture, et en y maintenant un tribunal.
 
En 1851, Forcalquier et son pays comptèrent parmi les principaux acteurs de la révolte républicaine contre le coup d’État de Napoléon III. Malgré la répression féroce qui s’ensuivit, la ville demeura jusqu’à la guerre de 1914 la capitale intellectuelle et artistique du haut-pays, ainsi qu’un des pôles de la renaissance provençale.
 
La dernière guerre fit à nouveau de la région un haut-lieu de résistance (la ville de Forcalquier a reçu la croix de guerre à ce titre).
 
Aujourd’hui, le pays de Forcalquier demeure remarquablement articulé sur son bourg-centre : l’une des plus petites sous-préfectures de France accueille toujours un des plus grands marchés de toute la Provence, et Forcalquier, micro-ville mais ville véritable, conserve largement son rôle de phare culturel du haut-pays provençal.
 
Jean-Yves ROYER