L’ancienne prison

Les « indésirables » à Forcalquier

L’ancienne prison désaffectée est achetée par la ville à l’État en 1936 pour y stocker du blé, puis revendue en 1938 à un industriel marseillais, Fernand GOTTERO, qui avait un projet d’usine de chaussures.

En 1939, elle est réquisitionnée par l’armée pour servir de cantonnement des troupes et, en 1940, elle sert de camp d’internement, annexe à celui des Milles, dans les Bouches-du-Rhône. Il en existe plusieurs dans le département des Basses-Alpes rattachés à celui du Chaffaut.

Peu d’archives témoignent du  passage dans l’ancienne prison, des prisonniers étrangers en provenance du Camp des Milles, que l’administration française  qualifie « d’indésirables » dans le texte de loi du 9 novembre 1938.

Prestataires de l’armée française, assimilés à des militaires mais étroitement surveillés et soumis à résidence, ils sont affectés à des travaux d’intérêt général moyennant une petite indemnité.

Pour en savoir plus sur les étrangers indésirables : www.campdesmilles.org

Seuls les relevés de consommation d’eau de l’ancienne prison, de janvier à mars 1940, mentionnent la présence de prisonniers autrichiens commandés par le Lieutenant GROSSETTI et en avril 1940 de prisonniers espagnols.

La souplesse des conditions d’internement

Deux rapports de l’administration s’alarment  du manque de surveillance, à l’exception de celui de Sisteron, dans les autres camps d’internement du département, tous en relation  à celui du Chaffaut. Ainsi le commissaire de police en charge de la surveillance relève-t-il un manque de discipline permanent :

« … je me suis rendu compte que, si les indésirables des détachements étaient surveillés pendant les heures de travail, ils ne l’étaient pas ou presque pas en dehors de ces heures, c’est-à-dire surtout de 5 heures du soir à 7 heures du matin.
Certains mêmes étaient libres pendant les heures de travail, comme j’ai pu le constater personnellement dans les rues de Digne, en voyant certains d’entre eux se promener et flâner à ces heures. C’est pour cette raisons que j’ai immédiatement renforcé la surveillance de ces détachements…

Toutefois, il n’est pas douteux que malgré ces mesures, la garde ne peut être efficace, surtout dans des villes comme Digne et Forcalquier… Les craintes que je formulais viennent de se justifier dans le fait que je vous ai fait connaître verbalement : à savoir que des tracts subversifs seraient confectionnés par des hommes du détachement de Forcalquier et acheminés vers d’autres localités comme Apt et Carpentras où ils ont été découverts récemment par la Police. »

Découvrez le courrier du préfet des Basses-Alpes au Ministre secrétaire d’état à l’intérieur du 5 décembre 1940…

De plus, les souvenirs publiés par ceux qui sont passés par Forcalquier, concourent à donner l’image d’une prison sans portes.

Les prisonniers, musiciens ou artistes comme Hans Bellmer, peintre (né en Pologne en 1902, mort à Paris en 1975) et Ferdinand Springer sculpteur (né en Allemagne en 1907, mort à Grasse en  1998), sympathisent avec la population et même avec leurs avec leurs gardiens, notamment Pierre Seghers.

 

Trois témoins racontent

Ci-après, un extrait du livre d’André Fontaine : Un camp de concentration à Aix-en-provence ? Le camp d’étrangers des Milles 1939-1943 – édisud, 1989.

Springer retrouve Hans Bellmer, affecté à Forcalquier depuis le 30 janvier 1940

Les deux internés disposent d’une petite cellule, leur compagnie est logée dans l’ancienne prison de la ville : ils ont du matériel pour dessiner et graver, comme le rappelle la photographie ci-contre montrant Springer coiffé d’un chapeau militaire.

Quand on ne les occupe pas à refaire un chemin dans la campagne proche, ils circulent assez librement. Les positions esthétiques des deux artistes ne se sont pas modifiées, comme l’indiquent les entretiens de Springer avec Emmanuelle Foster : « Je faisais un grand nombre de dessins que je montrais à Bellmer pour avoir son avis : “ Bon Dieu, vous avez encore fait de çà une déesse grecque. Mais regardez ! regardez cette lèvre supérieure – toute la bêtise qui y est incluse ! ” »…

« Une après-midi, nous sommes allés dans les environs, Bellmer, quelques autres camarades et moi, une région très belle appelée  » Les Mourres  » formée de rochers qui ressemblaient à de gros champignons avec des surfaces très structurées. J’étais heureux de pouvoir dessiner autre chose que les  » Krétins  » de la cour des Milles, j’étais donc absorbé sans remarquer que Bellmer derrière moi regardait mon dessin.

Il appelait les autres :  » Hé les gars, venez voir, Springer a dessiné comme Léonard en personne « … Je continuais mon dessin en y mettant les formes de centaures. Bellmer a alors protesté :  » Vous n’avez pas honte de bousiller ainsi votre beau dessin avec ces centaures anecdotiques  » ».

Pierre Seghers (1906-1987)

Il est mobilisé à 39 ans, à Nîmes puis à Forcalquier, où il devient gardien de la prison de Forcalquier. C’est là qu’il publiera le premier numéro de sa revue ¨PC » (Poètes Casqués).

Un souvenir inoubliable, le 18 juin 1940 sur la place du Bourguet :
« Je n’oublierai jamais, sur la place de Forcalquier, dans un petit café, devant le poste de radio, ces  hommes, ces paysans, ces soldats dont quelques-uns pleurent en écoutant, pour la première fois, le général de Gaulle :

Croyez-moi, moi qui vous parle en connaissance de cause et qui vous dit que rien n’est perdu pour la France. Les mêmes moyens qui nous ont vaincus peuvent faire venir un jour la victoire… »

La Libération venue, la prison est aux mains du Comité de Libération. Son règlement se durcit, et les miliciens et les collaborateurs y sont enfermés.

Du lieu d’enfermement au lieu d’éducation

En 1851, c’est l’ancien Couvent des Récollets qui fait office de prison et, lors du soulèvement des Bas-Alpins contre le coup d’Etat de Napoléon III, le sous-préfet Paillard y fut enfermé.

Au fil des années, l’établissement se dégrade et, en 1907, la Préfecture fait construire ici une nouvelle prison. En 1908 la commune en fait l’acquisition et, en 1938, la Maire la loue à un particulier pour un projet de développement industriel.

Du 9 novembre 1939 à juin 1940, pour décongestionner le camp d’internement des Milles, l’administration militaire crée des annexes du camp dans plusieurs départements. Dans les Basses-Alpes, des détachement arrivent à Manosque, Volx, Les mées, Forclaquier. Ce sont des ressortissants des pays du IIIe Reich, ils ont le statut de « prestataires de services auprès de l’armée ».
En 1949, l’association Terrasson qui gère les biens de l’église, ainsi que l’école ménagère de Forcalquier, achète l’ancienne prison. L’école, installée depuis sa création à la fin de la guerre dans une petite villa proche de l’hôpital appelée « La Simouneto », cherche à s’agrandir.

La nouvelle « Simonette », pionnière dans ses méthodes d’enseignement inspirées de Maria Montessori, est née. Très réputé, cet établissement  accueillera de 1947 à 1976 près de 2 000 jeunes filles du département.

La Simonette en 1947

Aujourd’hui : le foyer pour adultes handicapés La Simonette

Après la fermeture de l’école, en 1977, l’association Terrasson met l’immeuble a la disposition de l’ADAPEI (association départementale des parents et amis d’enfants handicapés mentaux des Alpes de Haute Provence) qui gère plusieurs structures dans le département comme le Centre d’Aide par le Travail et l’Institut Médico-Éducatif de Saint-Auban.

Un foyer d’hébergement destiné à recevoir des personnes handicapées mentales, travaillant au CAT de Saint-Auban, et ayant besoin d’un hébergement collectif et d’un encadrement spécialise, s’y installe.

En 1998, l’ADAPEI devient propriétaire et l’immeuble est réhabilité. C’est aujourd’hui un foyer d’hébergement et occupationnel destiné à des personnes handicapées ne pouvant pas exercer une activité en CAT, mais ayant la capacité d’être autonomes dans leur vie quotidienne.  Au-delà de l’hébergement, des activités leurs sont proposées pour maintenir et développer leurs potentialités et leur assurer un statut d’adultes acteurs de leur projet de vie.

En savoir plus sur l’ADAPEI et la Simonette aujourd’hui